COMPTES RENDUS
Colloque du 12 décembre 2016
Colère et Agressivité, en comprendre le sens et les causes. Comment gérer les frustrations ?
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Le 12 décembre 2016 le colloque organisé par ZO & KI a réuni trois intervenants sur le thème « Colère et agressivité : en comprendre les causes. Comment gérer les frustrations ».
Voici notre compte-rendu. Au programme, 3 conférences :
- Eric Binet, psychologue clinicien, psychothérapeute, docteur en Sciences de l’Education
- Anne-Claire Lafay, formatrice spécialisée en gestion du stress, bientraitance, gestion de l’agressivité et communication, intervenant auprès du personnel soignant dans les hôpitaux depuis 7 ans.
- Alain Benoit, pédiatre en maternité, crèche collective, ex-médecin en réanimation néonatale.
Les débats sont animés par Sophie Marinopoulos, psychologue et psychanalyste, modératrice de la journée.
CONFERENCE N°1
La colère et l’agressivité du tout-petit, les comprendre et les accompagner positivement
Une conférence d’Eric Binet, psychologue clinicien, psychothérapeute, Docteur en Sciences de l’Education, chargé de cours à l’Université Paris V. Il intervient depuis plus de 15 ans en formation continue dans le champ de la petite l’enfance. Il est l’auteur de nombreuses publications, notamment dans le magazine Les métiers de la Petite Enfance.
Les pleurs des enfants ont encore souvent une connotation négative
Quelle qu’en soit la raison, il faut qu’ils cessent ! Les adultes déploient toutes sorte de stratégies pour ça : prendre le bébé et répéter « chut chut chut !», lui donner la tétine, le mettre à part, le coucher. Or dès lors que l’on s’y intéresse, on découvre très vite que les pleurs ne peuvent pas être un caprice. Anatomiquement ce n’est pas possible. En effet les pleurs sont produits par une zone du cerveaux (dit « paleo-mamalien ») dévolue aux comportements instinctifs. Adulte nous avons déjà beaucoup de mal à la contrôler. Pour un tout petit ce contrôle est purement et simplement impossible. Etant incontrôlables, les pleurs ne peuvent pas être un caprice. Pour eux, c’est plutôt leur unique possibilité d’évacuer un trop plein de stress. Les pleurs ont donc toujours une bonne raison. Pour Eric Binet, une bonne connaissance des pleurs du tout-petit devrait être un sujet de santé publique !
Accompagner les pleurs
Il faut accompagner les pleurs en berçant, en consolant. Surtout pas en les faisant cesser par tous les moyens (la tétine, le doudou, de la musique ou autre chose). En effet, un bébé « bien dans sa peau » est un bébé qui pleure à satiété. Et c’est aussi un bébé qui pleure beaucoup moins, et dort beaucoup mieux. Il faut donc le laisser aller au bout de ses pleurs en le prenant dans les bras. Car le contact physique libère de l’ocytocine, et produit et effet de confort affectif, un sentiment d’être accepté de manière inconditionnelle. C’est aussi ce dont ils ont besoin pour avoir une vision positive du monde.
Quel regard porter sur les colères des tout-petits ?
Les colères ont mauvaise presse : l’univers culturel continue de donner une vision négative à la colère. Nos représentations habituelles des colères ou de l’agressivité du tout-petit sont habituellement négatives (par exemple la colère figure parmi les 7 péchés capitaux). Mais il s’agit aussi de faire la différence entre la colère émotionnelle, un état affectif intense, et la colère manipulatrice, instrumentalisée et sans larmes.
LA COLERE EMOTIONNELLE
C’est un moyen de communication. Elle permet de s’affirmer et de se préparer à l’action. Il faut donc savoir l’interpréter intelligemment. C’est à la fois :
- une mobilisation et un afflux d’énergie pour se défendre ;
- une force pour faire respecter ses limites ;
- une stratégie d’intimidation pour ne pas se laisser marcher dessus : dans son territoire réel (son corps, ses affaires) et dans son territoire symbolique (ses limites).
Cette colère est un cadeau ancestral pour éviter le combat et fuir le danger. Or, en tant que ressource interne de notre passé primitif : il ne faut pas la renier. Elle est à la base de la confiance en soi, de l’affirmation de soi. Vouloir l’éliminer, c’est perdre ses forces. Car elle remplace la violence. Elle peut d’ailleurs s’auto-entretenir et même résister au temps.
Les signes physiques de la colère émotionnelle
La colère affecte le corps et modifie les pensées. Signes physiques : face est contractée, une crispation musculaire, un rythme cardiaque et une respiration plus rapides, la température qui augmente.
C’est le syndrome du biscuit cassé : la colère n’a rien à voir avec le biscuit elle est là, elle éclate même si on donne un autre biscuit. C’est une colère :
- contre soi-même
- contre es autres
- contre le monde entier
Lorsqu’un enfant est dans une colère émotionnelle, il ne peut pas parler, ni entendre : son cortex est désactivé. Dans la colère émotionnelle les fonctions cognitives et le système langagier sont déconnectés. C’est toute la différence avec la colère manipulatrice.
Et par ailleurs la colère est contagieuse : on se la refile !
Les facteurs déclenchant de la colère émotionnelle
Avant 3 ans, l’information circule mal entre les 2 hémisphères cérébraux des tout-petits. Leur cerveau est immature face au stress. L’intervention des adultes au quotidien peut influencer ces maturations.
Ils ont un pouvoir éducatif important.
Le principal élément déclencheur chez le tout-petit est la frustration. Le bébé a l’intention de maîtriser (par exemple la langue des signes de l’adulte), mais il n’a pas encore la capacité à apprendre à la maîtriser.
Plusieurs périodes sont critiques au cours de son développement : 5 semaines ; 8 semaines, puis 12 ; 15 ; 23 ; 34 et 42 semaines. Elles induisent du stress, et des colères d’impuissance.
Autres éléments déclencheurs de la colère :
- la fatigue, le manque de sommeil ;
- l’alimentation : on observe des pics de colère avant le repas (manque de sucre), ou au contraire un pic d’adrénaline après trop de sucre (colère d’anniversaire chez les plus grands), une alimentation mieux équilibrée favorise la baisse des troubles ;
- les additifs alimentaires et les édulcorants qui entraînent une hyperactivité (exemple : E127).
Comment gérer la colère émotionnelle ?
Le premier objectif est d’essayer de reconnecter l’émotion avec la conscience. Il s’agit de savoir percevoir la colère, décoder la signalisation et l’intensité de la colère et comprendre le lien avec l’action vécue.
La colère s’autorégule. Le but est de retrouver l’harmonie entre le cerveau rationnel et le cerveau irrationnel. Pour cela il faut changer son regard sur la colère émotionnelle.
-> Voir le livre La colère. Transformer son énergie en sagesse, par le moine bouddhiste vietnamien Nhat-Hanh Thich (éditions J.C. Lattès).
Regarder au-delà de la colère émotionnelle
Entre 0 et 1an : il faut essayer d’identifier ses besoins. Veut-il explorer, tirer, arracher, grimper, s’agripper, lancer,… vocaliser ?
Entre 1 et 2 ans : il faut savoir dire « non », mais aussi respecter le territoire et les choix de l’enfant. Lorsque la colère survient, il faut savoir regarder au-delà : ne pas faire de reproches. Au contraire se montrer compréhensif et compatissant, donner du réconfort et de l’aide.
Mais attention ! Calmer ne veut pas dire réprimer !
Donner du réconfort et de l’aide
Pour un enfant, gérer ses émotions n’est pas un comportement inné : il a besoin de compassion et de portage. Car les comportements de l’adulte influencent (en bien comme en mal) le développement du cerveau du tout-petit.
-> Voir le livre Pour une enfance heureuse, de Catherine Gueguen, (éditions Robert Laffont)
-> Les exercices de cohérence cardiaque du Dr. David Servan-Schreiber
Il faut mettre les mots pour verbaliser sans violence : « je vois bien que tu es en colère ». Trouver des échappatoires : tordre un torchon, crier dans un coussin, pousser les murs, gribouiller de toutes ses forces.
Mettre de l’humour, pour activer la distraction et la curiosité de l’enfant, sans oublier de verbaliser.
-> Lire le livre La colère : y’a pas de mal à être en colère de R-W. Alley (éditions du Signe)
-> Distribuer des bons de colère.
LA COLERE MANIPULATRICE
C’est une colère tout à fait différente. Elle est instrumentalisée. Elle utilise les lobes frontaux : le langage, la menace pour faire plier l’adulte.
Et très important : elle se déroule sans larme ! Il ne sert à rien :
- d’essayer de discuter ou de parlementer ;
- de se poser en spectateur ;
- d’essayer de faire des bisous pour consoler
En revanche il faut :
- rappeler les règles de politesse ;
- savoir opposer un « Non » définitif.
D’où tiennent-ils ces facultés ?
C’est un boomerang de ce que les adultes imposent : de la pression (« dépêche-toi ») des menaces. La violence concerne tout ce qui est vivant.
L’agressivité est une volonté de tuer sans blesser physiquement. Il faut savoir la reconnaître pour éviter qu’elle ne dégénère.
Le tout petit a besoin d’objets pour exercer son agressivité : stimuli, jeux, meubles, activités. Il faut pouvoir la canaliser sans la punir.
Les questions des participants
- Doit-on prendre la colère silencieuse au sérieux ?
Eric Binet : « Oui il le faut, c’est essentiel. Elle réprime les pleurs, à la différence de la colère tapageuse. Mais ce n’est pas une colère manipulatrice, qui peut s’exprimer et même débattre. Il faut savoir accompagner l’enfant dans le calme comme dans la colère. - Quand et comment faire quand tout le monde pleure ?
Eric Binet : Les pleurs sont un réservoir de stress. Lorsque les enfants pleurent à satiété, les pleurs s’estompent. - Comment faire face à une colère qui va jusqu’à vomir ?
Eric Binet : C’est un cas très particulier. Il y a sûrement une pathologie, ou une souffrance sousjacente, (par exemple familiale).
CONFERENCE N°2
Quelles postures adopter face aux différents types d’agressivité chez l’enfant ou l’adulte ?
Une conférence d’Anne-Claire Lafay, formatrice spécialisée en gestion du stress, bientraitance, gestion de l’agressivité et communication, intervenant auprès du personnel soignant dans les hôpitaux depuis 7 ans. Actuellement en Master 2 de psychologie clinique, elle s’intéresse particulièrement à la petite enfance.
Comprendre l’origine de la colère et des comportements d’agressivité
A partir de certaines connaissances actuelles en psychologie cognitive et en neurosciences, Anne- Claire Lafay essaye de nous faire comprendre l’origine de la colère et des comportements d’agressivité. En tant que réactions instinctives, la colère et l’agressivité se positionnent dans la globalité des différents niveaux de fonctionnement de l’humain, enfant comme adulte.
1 – Le fonctionnement instinctif
C’est un fonctionnement reptilien, animal : l’instinct de vie et de survie (le « ça » de Freud). Il s’agit d’une colère émotionnelle qui se caractérise par le stress, la lutte mais aussi par l’inhibition, le découragement et la fuite.
-> Cf Henri Laborit : Les animaux utilisent 4 grandes stratégies pour survivre : l’activation de l’action, la fuite, la lutte et l’inhibition de l’action. En l’absence de danger immédiat, l’animal privilégie l’action pour satisfaire ses besoins vitaux.
Cela se traduit par plusieurs attitudes :
- physique : je cherche à impressionner, je parle fort, je me grandis, je fais du bruit.
- psychologique : j’ai raison les autres ont tort.
je dis des choses que je ne pense pas « je te déteste, je voudrais que tu sois morte ». Pour arriver à gérer cette colère et cette agressivité, il faut arriver à la repérer très tôt et chercher des solutions « à bas bruit ».
2- Le fonctionnement grégaire
Dominance / soumission
Agressivité / offensive
3- Le fonctionnement en mode automatique
Habitude, rigidité, simplification, certitudes, routines, c’est un mode rassurant pour se construire car les règles donnent des repères solides (cf Emmi Pikler).
Attention toutefois, à ne pas imposer trop de rigidité car il faut aussi savoir s’adapter.
Les fonctionnements 1, 2, 3 sont plutôt gérés par les zones intérieures du cerveau (voir Eric Binet)
4- Le fonctionnement rationnel
Il est géré au niveau de la zone préfrontale : le cortex (le « Moi » de Freud). Cette zone permet de gérer tout ce qui est nouveau. Elle est en maturation jusqu’à 25 ans.
C’est elle qui permet la curiosité, l’adaptation, la relativité, la rationalité, l’individualisation mais aussi la gestion des émotions. Et c’est elle qu’il faut interroger pour gérer la colère d’un enfant.
Comment gérer la colère et l’agressivité ?
A partir de la compréhension de ces mécanismes, Anne-Claire Lafay propose des postures de communication permettant de mieux gérer ces différents types d’agressivité, lorsqu’ils surviennent chez l’enfant, mais aussi chez l’adulte.
- Comment éviter d’aggraver la colère ?
Rester calme : ne pas parler fort. Ne pas dire « chut calme-toi ».
Accepter, écouter la colère ; observer et rechercher les raisons. - Avoir une écoute active
Ecouter jusqu’au bout. Essayer de comprendre. Verbaliser aider à reformuler. S’excuser si on a fait quelque chose qui a pu provoquer la colère. C’est-à- dire rétablir le dialogue. - Faire la différence entre le défensif et l’offensif
Si on est offensif, on entre dans le rapport de force et c’est escalade. Au contraire , il faut plutôt éloigner l’idée que seul le rapport de force fonctionne.
Durant la colère, il faut arriver à sortir de la position défensive/offensive, et essayer d’adopter plutôt une position d’assertivité : je suis neutre.
Mais il faut aussi pouvoir dire « Non » : poser des limites, rappeler les règles sociales et sociabilisantes. - Essayer de revenir à un mode mental Faire diversion : passer à des choses plus constructives, mais sans oublier de chercher une cause à la colère.
Etre là pour faire avec, être calme dans le moment de colère ou d’énervement, apporter des nuances, de la curiosité, de la relativité, de la réflexion rationnelle et logique. - Passer dans le mode adaptatif
La personne en colère doit être aidée par un portage psychologique pour se mettre dans un autre état d’esprit et trouver des solutions en elle-même pour sortir de son stress.
Pour les autres, face à la colère, il s’agit de trouver la bonne distance.
CONFERENCE N°3
La colère comme phénomène
Une conférence d’Alain Benoit, pédiatre depuis 30 ans, ancien réanimateur de bébés, il a exercé dans des hôpitaux, des crèches, des pouponnières.
Même si les neurosciences ont fait des progrès considérables, les pleurs des bébés sont un sujet éternel. Aujourd’hui, un bébé reste le « starter » (le démarreur) d’une famille. Il fabrique la maman, le papa, les frères et soeurs. Mais il ne peut porter tout seul toutes les émotions que son arrivée a suscitée chez ses parents.
Un bébé est une éponge à émotion dont il ne sait pas trop quoi faire au début. Il s’imprime de ses expériences sans savoir les ranger par ordre chronologique. Pour cela il a besoin de temps.
-> IL FAUT RESPECTER LE TEMPS DE L’ENFANCE !!
Puis il grandit, se développe, apprend un tas de choses, il apprend à dire « papa », « maman » (tous les bébés à peu près partout dans le monde disent ces syllabes !). Mais un bébé n’est rien sans les personnes qui gravitent autour de lui, notamment son attachement magique avec sa maman !
Faire du lien, c’est d’ailleurs ce qui lui permet ensuite de se séparer. La séparation est constructive même si elle est douloureuse. C’est aussi ce qui provoque sa colère.
Les pleurs, les cris sont ses seules possibilités d’expression. Il faut essayer de les comprendre.
Exemples :
- Les pleurs du soir sont liés à une sursaturation de stimuli, subis toute la journée. Sa bulle émotionnelle se dégonfle. Mais le soir est aussi le soir des parents. Ils sont fatigués, ils lui parlent avec agacement.
- Les petits pleurs du matin sont plutôt un échange d’émotions.
- Les pleurs liés à la frustration : cette colère est constructive. Il faut l’accompagner, c’est un marchepied pour avancer.